En discutant avec Grand-mère Tang Liang, une habitante de Kampong Cham dont je vous raconterai la formidable rencontre un peu plus tard, j’appris qu’un de ses anciens camarades d’école était aujourd’hui un des hommes les plus fortunés du Cambodge. Il était à la tête de banques et d’assurances dont plusieurs agences étaient réparties dans le pays. Grand-mère Tang Liang disait de lui qu’il était généreux, qu’il avait participé à plusieurs œuvres caritatives. Elle l’avait d’ailleurs revu quelquefois à l’occasion des événements organisés par les anciens élèves de Tong Hua, l’école chinoise dans laquelle ils étaient. Comme mon père, sa famille avait des origines Teochew (issu de la province de Chaozhou, en Chine). Mon père m’avait souvent répété que l’une des valeurs importantes de la communauté sino-khmer était la solidarité. « Génial ! j’ai trouvé la personne idéale pour soutenir le projet ! » me disais-je, en me rappelant des paroles de mon père. Après quelques recherches sur Internet, c’était décidé : à mon prochain passage sur Phnom Penh, je me rendrai à la banque de M. Ly pour le rencontrer et lui exposer mon projet. Quelques semaines plus tard, j’y étais. Passée la grande porte vitrée, le choc thermique se faisait sentir : La clim devait être à 20°C quand à l’extérieur il faisait au moins 32°C . Un cas typique de l’Asie. « Ils ont perdu la télécommande de la machine ou quoi ? » . me disais-je. Avec le temps, je compris surtout que ce changement radical de température devait être intentionnel. Il annonçait l’arrivée vers un lieu plus prestigieux que la moyenne. A moins que vous ayez tout simplement… atteri dans un taxi !
Arrivée au comptoir d’accueil, l’hôtesse m’accueillit, sourire aux lèvres. De manière confiante, je lui expliquais brièvement que je venais voir M.Ly au sujet de mon projet à Trean. Très rapidement, je compris qu’il n’était pas possible de le rencontrer sans rendez-vous et qu’il serait compliqué de le rencontrer d’aussitôt au vue de son planning très chargé. Traduction par moi-même « ton projet ne nous intéresse pas, on a d’autres chats à fouetter ! ». Je n’insistai pas plus et quittai les lieux direction Eric Kayser, pour me réconforter de cet échec cuisant. C’était une boulangerie typiquement française à Phnom Penh où j’avais l’habitude de faire une razzia sur les pains en tout genre avant de retourner à Kampong Cham.
Quelques semaines plus tard, je me rendais à Trean, dans la maison de M.Lay. C’était le chef de chantier du projet L’H2Otus. Il gérait les équipes qui œuvraient dans les travaux et qui étaient simplement d’autres habitants de Trean, des voisins. Avec son accord, j’avais fait de son rez-de-chaussée, un vrai entrepôt. Des tuyaux pvc, des raccords, des vannes, des compteurs d’eau…Bienvenu chez Leroy-Merlin !
Arrivée chez M. Lay, je m’apprêtais à faire l’inventaire jusqu’au moment où j’aperçu des centaines d’enfants tous alignés, les uns derrières les autres. La maison de M. Lay se trouvait juste à côté de l’école. Il n’était donc pas étonnant de voir tous ces élèves. Ce qui été plus surprenant, c’était de les voir si bien habillés et sages. D’habitude, on entendait les éclats de rires, les klaxons des bicyclettes, le raffut des garçons jouant au ballon et les mères de ces mêmes garçons leur hurlant dessus pour qu’ils enfilent leurs chaussures. Cette fois-ci, leur chemises blanches rentrées dans le pantalon ou la jupe d’écolier, ils se tenaient debout, immobiles à l’entrée de l’école. Les adultes étaient quant à eux installés sous des tonnelles et des banderoles colorées semblables à celle des mariages.
Antoine, mon coloc-collègue, était de passage au village. Appareil photo et drone en main, son objectif était de prendre plusieurs clichés de l’avancée des travaux et de communiquer dans les réseaux sur le projet, notamment pour le crowdfunding qu’on avait mis en place. Intrigués, nous interrogions les élèves de ce qu’il se passait. Ils avaient organisé une cérémonie d’accueil pour un homme qui avait gracieusement fait construire 5 puits aux environs de Trean. Quelques minutes plus tard, on entendit des acclamations et aperçut un cortège avancé dans le corridor de bienvenu. Tel un paparazzi, Antoine se rapprocha pour filmer ça de près. C’était l’occasion d’avoir des images de cet homme qui devait être une figure importante du Cambodge. Je fis de même en me glissant entre les élèves. Lorsque je me trouvais suffisamment près de la vedette de la journée, je m’arrêtais nette. Cet homme…c’était lui, M.Ly ! l’homme d’affaire que je voulais rencontrer à Phnom-Penh il y a quelques semaines. Parfois, le hasard fait bien les choses. Ne vous moquez pas, mais moi, j’y voyais comme un coup de pouce de l’Univers ! après avoir expliqué brièvement la situation à Antoine, j’étais déterminée à parler à M. Ly. « Cette fois-ci, je vais lui demander mon rendez-vous en face à face ! » disais-je à Antoine.
Après les discours de remerciements successifs de la directrice de l’école et des représentants des villages, s’en suivit la distribution de fournitures scolaires aux élèves que M. Ly avait fait don. Celui-ci se dirigea ensuite vers les quelques puits construits pour l’inauguration. Comprenez : Une photo officielle de M. Ly se servant de l’eau, sourire aux lèvres. Après la session photos, c’était à mon tour d’esquisser mon meilleur sourire. Alors qu’il retournait vers sa voiture avec sa garde rapprochée, je me faufilais entre les gens qui lui disaient au revoir. Arrivée devant lui, pris d’un élan, je criai son nom : « M. Ly, s’il vous plaît ! ». Je ne me souviens pas exactement de ce que je lui dis. Je me rappelle juste que les mots ne me venaient pas tout de suite et que mon cœur battait à mille à heure. La vie me donnait une seconde chance pour faire mes preuves. Je la saisissais volontiers. J’avais dû baragouiner brièvement mon escapade à Phnom Penh, enchaîner sur un topo express sur le projet L’H2Otus pour finir sur ma proposition de rendez-vous. Proposition qu’il accepta. Je devais appeler au numéro sur la carte qui m’avait été donnée. « YEEEEEES ! » criais-je intérieurement tout en faisant la danse de la joie…dans ma tête.
Deux semaines plus tard, me voilà face à la même porte vitrée d’il y a quelques semaines, prête à affronter le choc thermique et…émotionnel. Je ne le savais pas encore mais j’étais sur le point de vivre un de ces moments des plus surprenants pour la konkat que j’étais, en pleine découverte des us et coutumes du Cambodge…
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